Urielle, rescapée du SDTE

Dilatation-torsion de l’estomac : on croit toujours qu’on verra venir…

Quand on accueille un grand chien dans sa vie – et plus encore un dogue allemand, avec son gabarit majestueux et son cœur immense – on se voit très vite entouré de mises en garde. L’éleveuse vous en parle. Le vétérinaire insiste. Les propriétaires de dogues expérimentés vous glissent un jour, entre deux anecdotes attendrissantes, cette phrase que l’on entend tous : “Faites attention à la torsion de l’estomac.”

Alors on écoute. On prend note. On suit les conseils :
✅ Fractionner les repas
✅ Éviter l’exercice après avoir mangé et aussi avant de manger
✅ Surveiller le moindre comportement inhabituel

Et puis, on voit passer des témoignages bouleversants sur les groupes Facebook, parfois plusieurs fois par mois. Des propriétaires partagent leur détresse, leur impuissance, leur chagrin, parfois leur soulagement d’avoir réagi à temps. On lit, on compatit… et on finit par s’habituer. On ne réalise pas toujours que cela pourrait aussi nous arriver, un jour, à nous. Mais quelque part, au fond de soi, on se dit que ça n’arrive qu’aux autres. Nous aussi, on le pensait. Jusqu’au jour où tout a basculé. 👉 C’était le 19 juin 2025. Il y a tout juste un mois.

Une journée comme les autres…

Le 19 juin 2025, tout avait commencé normalement.

Sortie matinale à 6h30, petit-déjeuner sans précipitation, grande balade avec mon mari vers 14h, repas du soir vers 18h. La routine d’Urielle, comme d’habitude.  Vers 20h, elle a commencé à tourner en rond. Pensant qu’elle devait simplement faire ses besoins, Pierre est sorti avec Youyou.

Et c’est là qu’elle a tenté de vomir. Une mousse blanche, épaisse, acide… sans vraiment y parvenir. Des efforts répétés, vains, dérangeants. Quelque chose n’allait pas.  Cependant, aucun des signes classiques nous ne a laissé penser au pire : pas de ventre gonflé ni dur.

Mais nous étions en panique.  Nous avons appelé le vétérinaire d’urgence qui est arrivé en quinze minutes. Lui aussi était perplexe. Rien ne pointait clairement vers une torsion, mais il a préféré ne pas prendre de risque et nous a envoyés à la clinique pour faire une radio.  On a pris la route et durant les 30 minutes du trajet, son état s’est brutalement aggravé. Son ventre a triplé de volume. Elle haletait visiblement en détresse. À la clinique, elle a été prise en charge immédiatement. pendant qu’on appelait la vétérinaire chirurgienne, elle a reçu une piqûre pour évacuer l’air et soulager la pression. Puis une radiographie.

👉 Et le diagnostic est tombé : syndrome de dilatation-torsion de l’estomac. Il fallait opérer. Sans délai.  Et dans nos têtes, un constat brutal :

🕒 Une heure s’était déjà écoulée : 

15 minutes d’attente.
15 minutes d’auscultation.
30 minutes de route.

Des minutes perdues. Malgré nous.

Un risque trop fréquent chez les grands chiens

Quand on vit ce genre de situation, la première chose qu’on se dit après coup, c’est : Pourquoi est-ce si fréquent, et pourquoi est-ce si mal connu ? 

En réalité, le syndrome de dilatation-torsion de l’estomac (SDTE) est l’un des plus grands dangers qui pèsent sur les chiens de grande taille — et particulièrement sur le dogue allemand.

📊 Selon une étude vétérinaire de référence menée par le Dr Glickman (Université de Purdue, USA) :

  • Jusqu’à 42 % des dogues allemands non opérés seront confrontés à un SDTE au cours de leur vie.

  • Le taux de mortalité, même avec une intervention rapide, reste élevé : entre 25 et 45 %.

  • Sans chirurgie, la torsion est quasiment toujours fatale, parfois en moins de deux heures.

  • Chaque minute compte. La rapidité de prise en charge peut faire la différence entre la vie et la mort.

🔎 Le mécanisme est brutal :

L’estomac se remplit de gaz (dilatation), puis pivote sur lui-même (torsion). Cela coupe la circulation sanguine, comprime parfois la rate, et entraîne un choc rapide et profond.  Et ce qui rend le SDTE particulièrement traître, c’est que les signes classiques ne sont pas toujours présents dès le début. Et parfois, il s’installe en silence, pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours, sans qu’on ne remarque quoi que ce soit d’évident. Un petit inconfort digestif qu’on met sur le compte de la chaleur. Un chien qui semble un peu moins à l’aise, qui change légèrement de position en dormant, qui boit un peu plus… ou un peu moins. C’est ce qui le rend si dangereux : 👉 C’est une urgence qui se prépare en douce. Un piège invisible, qui éclate d’un coup quand il est souvent déjà trop tard.

C’était le cas pour Urielle. Pas de ventre gonflé au départ. Pas de douleur manifeste. Juste un comportement étrange. Des vomissements vides. Une sensation diffuse que quelque chose n’allait pas. Et si notre vétérinaire de garde n’avait pas écouté cette impression … Urielle ne serait sans doute plus là aujourd’hui.

Le verdict

Le téléphone a sonné vers 1 heure du matin. C’était la vétérinaire. Sa voix était calme, posée, mais sans détour.
L’opération était terminée. Le diagnostic était confirmé : torsion complète de l’estomac, avec rate nécrosée. Elle avait dû l’enlever.

Puis, sans chercher à édulcorer la situation, elle nous a dit : “La situation est très préoccupante. Je ne peux pas vous dire si elle passera la nuit.”Pas de faux espoirs. Pas de phrases pour rassurer. Juste la vérité, crue, directe. Celle qu’on redoute sans jamais y être préparé. Urielle était en soins intensifs.
Et nous, on était là, incapables de fermer l’œil, à tourner en rond dans le silence. Le téléphone était posé entre nous, toujours allumé, toujours silencieux.
Et pourtant, chaque seconde qui passait, on s’attendait à ce qu’il sonne à nouveau. On redoutait le coup de fil que personne ne veut recevoir.
Celui qui annoncerait la fin. Alors on attendait. En apnée. Une nuit figée, interminable, qu’on aurait préféré sauter.

Le matin du possible retour

Il était un peu plus de 11 heures quand le téléphone a sonné à nouveau. Cette fois, c’était la bonne nouvelle. La vétérinaire nous annonçait qu’Urielle avait passé la nuit. Elle était faible, bien sûr. Sous perfusion, surveillée de près. Mais elle était là. Vivante. Et surtout, elle ajouta : “Vous pouvez venir la voir cet après-midi.”

On ne s’est pas effondrés. Pas encore. On s’est juste regardés, en silence, les larmes prêtes à sortir mais encore contenues. On n’osait pas encore y croire. Il y avait encore un long chemin devant nous. Mais la vie avait décidé, pour l’instant, de ne pas s’arrêter là.

Vivante

L’après-midi, nous sommes retournés à la clinique. On nous a fait attendre quelques minutes dans une petite salle blanche. Et puis, au bout du couloir, elle est apparue. Urielle, marchant lentement, enveloppée dans un body chirurgical vert, le regard fatigué mais bien présent. Elle avançait doucement, puis elle nous a vus.  Et là, elle s’est détendue. Sa queue a doucement balayé l’air : “Je vous ai retrouvés.”

Elle est restée trois nuits à la clinique, jusqu’au lundi, surveillée, entourée de soins et de précautions.  Chaque jour, nous appelions pour prendre de ses nouvelles. Elle mangeait un peu. Elle était calme. Elle tenait bon. Et à chaque visite, elle nous accueillait avec ce regard, patient, confiant. Celui qui disait sans un mot : “Je vais m’en sortir.”

Le retour

Le lundi, nous avons pu la ramener à la maison. 

Le trajet s’est fait en silence. Elle était couchée à l’arrière, encore faible, le regard un peu flou. Nous, on roulait lentement, comme si chaque dos d’âne pouvait la blesser. Une fois à la maison, on a réorganisé tout notre quotidien autour d’elle.  Pendant quinze jours, notre vie s’est mise en mode convalescence :
🌿 Des mini-balades hygiéniques, juste pour le strict nécessaire.
💊 Des médicaments à heure fixe : anti-douleurs, anti-inflammatoires, pansements gastriques.
🩹 Une surveillance constante : respiration, comportement, appétit, cicatrice.

Elle dormait beaucoup. Se levait lentement. Se laissait faire pour tout. Toujours confiante.

Quinze jours plus tard

Deux semaines après l’opération, nous sommes allés chez son vétérinaire habituel pour une étape symbolique : le retrait des agrafes.

La cicatrice était longue, propre, bien refermée. Urielle s’est laissée manipuler, stoïque. Ce n’était qu’un geste médical, mais pour nous, c’était énorme. Un chapitre qui se fermait doucement. 

Un mois plus tard

Aujourd’hui, un mois s’est écoulé depuis cette nuit-là. Et chaque jour depuis, Urielle a évolué dans la bonne direction. Elle a recommencé à sortir un peu plus loin, un peu plus longtemps. Elle a retrouvé ses copains de jeu, ses chemins préférés, ses petits rituels avec Pierre. Son regard est vif. Sa démarche plus souple. Et sa queue, toujours, balance avec sérénité.

Elle n’a pas encore totalement récupéré. Son estomac reste fragile. Parfois, des reflux apparaissent, sans prévenir. Alors on reste vigilants. On adapte. On observe. Parce qu’on sait que rien n’est totalement derrière nous. Mais elle est là. Présente. Courageuse. Douce, comme toujours.
Et nous, on mesure chaque moment passé avec elle comme un cadeau.

Et nous, depuis…

Depuis ce jour-là, plus rien n’est vraiment comme avant. On vit avec cette expérience dans le ventre. Avec cette peur sourde, cette paranoïa latente qui revient au moindre comportement inhabituel :

Un halètement un peu plus fort ?
Un regard fuyant ?
Une position étrange ?

Et aussitôt, le cœur s’emballe.

Parce qu’on sait maintenant que tout peut basculer en quelques minutes. Et cette conscience-là, elle ne s’oublie pas. On essaie de ne pas y penser tout le temps, de ne pas trop surveiller, de ne pas lui transmettre nos inquiétudes. Mais l’angoisse est là, tapie, prête à surgir. On apprend à vivre avec.

Il y a la joie de l’avoir encore avec nous.
Il y a la gratitude.
Mais il y a aussi la fragilité qu’on ne peut plus ignorer.

Et peut-être est-ce ça, au fond, aimer un grand chien comme elle :
aimer plus fort, mais aussi trembler un peu plus souvent.

À ceux qui aiment un grand chien

Si tu vis avec un dogue allemand, un léonberg, un terre-neuve ou tout autre géant au cœur tendre… Ce témoignage est pour toi.

Pas pour te faire peur. Pas pour te culpabiliser. Mais pour te rappeler que ce risque existe, qu’il est réel, et qu’il mérite d’être pris au sérieux. Écoute ton chien. Fais-toi confiance. Et si un jour tu as un doute, n’attends pas.

Le SDTE est sournois, silencieux, rapide. Mais parfois, une simple décision prise à temps peut suffire à faire toute la différence. 

Et si tu l’as déjà vécu, alors tu sais :on n’en sort jamais tout à fait indemne…
mais on en sort plus liés que jamais.

Et la prévention ?

Avant ce qui est arrivé à Urielle, on avait bien entendu parler de la gastropexie préventive. Un autre propriétaire de dogue allemand nous en avait soufflé l’existence.
Mais à l’époque, deux écoles de pensée s’opposaient. Certains vétérinaires recommandaient cette intervention de manière préventive, surtout pour les grandes races. D’autres la jugeaient excessive, voire inutile si le chien n’avait jamais présenté de symptômes. Résultat : on ne nous l’a jamais vraiment proposée.
Pas lors de ses suivis.
Pas au moment de sa stérilisation.
Pas comme un choix éclairé, encore moins comme une urgence silencieuse. Et aujourd’hui, on sait.

👉 La gastropexie consiste à fixer l’estomac à la paroi abdominale, pour éviter qu’il ne se torde. Elle n’empêche pas la dilatation, mais elle bloque la torsion, la partie la plus grave du SDTE — celle qui coupe la circulation, provoque un choc, et peut tuer en quelques heures.

Elle peut être réalisée en prévention, surtout chez les races à risque. Et souvent, elle peut être faite en même temps qu’une stérilisation, sous la même anesthésie. Alors si tu vis avec un grand chien, ou si tu envisages d’en accueillir un,  informe-toi, pose les bonnes questions. Ne laisse pas l’incertitude médicale décider à ta place. Parce que parfois, on ne peut pas revenir en arrière. Et il suffit d’une seule décision prise à temps… pour ne jamais avoir à écrire ce genre de témoignage.